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Publié par Parolesdejuges

Par Michel Huyette


  Le débat actuel concernant la motivation des décisions de la cour d'assises (cf. un précédent article), c'est à dire le droit de toutes les personnes impliquées de savoir pourquoi la décision - culpabilité ou innocence, et dans le premier cas l'importance de la peine - à été prise, n'est pas complet si n'est pas abordée en même temps la question délicate de l'intime conviction.

  Rappelons d'abord brièvement le cadre juridique.

  Alors que dans presque toutes les autres juridictions les juges doivent motiver leurs décisions, que ce soit au civil (art. 455 du cpc) ou au pénal (art. 485, 512, et 593 cpp), tel n'est pas le cas devant la cour d'assises, dont les membres répondent uniquement par "oui" ou par "non" aux questions du genre : "X... est-il coupable d'avoir à .. le.. commis l'infraction de...".

 Lorsque le jury est constitué, les jurés doivent prêter le serment suivant (art. 304 du cpp) :

 "Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection ; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions"

  Et avant que la cour se retire pour délibérer, le président doit lire aux jurés le texte suivant (art. 353 du cpp) :

 "La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Avez-vous une intime conviction ? "."

 Dès la première phrase de ce second article, on voit clairement que magistrats et jurés ne sont pas tenus d'indiquer quels éléments ont conduit à leur décision. Autrement dit, ils n'ont pas à motiver leur choix, ni oralement ni par écrit. Et la dernière phrase précise que ce qu'il leur est demandé c'est de faire un choix en fonction de leur "intime conviction". Mais le code de procédure pénale n'indique nulle part ce que contient exactement cette notion.

  Comment cela se passe-t-il alors en délibéré ?

  Magistrats et jurés se retrouvent autour d'une table et, une fois expliqué le processus à suivre (comment sont rédigées les questions et le mécanisme du vote à bulletins secrets), le président lance un tour de table afin que chacun donne son avis sur la culpabilité ou l'innocence de l'accusé. Mais personne n'est obligé de s'exprimer. A chaque délibéré, il y a des jurés qui parlent beaucoup, qui défendent fermement leur point de vue, qui cherchent à influencer les autres, mais également des jurés qui passent leur tour et ne veulent pas exprimer leur avis (ce qui ne signifie pas qu'ils n'en ont pas un).

  Ce débat doit normalement permettre à chacun, en écoutant les arguments des autres, d'inclure dans sa réflexion des éléments auxquels il n'avait pas forcément pensé, et ainsi de faire évoluer son point de vue.

  Quand le débat sur les charges semble avoir suffisamment duré, le président soumet les questions aux votes. Chaque membre de la cour (juges et jurés) prend un petit papier (des bulletins préimprimés sont à disposition) et écrit "oui" ou "non" à chacune des questions posées (art. 356 du cpp). Personne n'a de voix prépondérante. Pour que la culpabilité soit retenue, il faut qu'il y ait en première instance 8 réponses "oui" sur les 12 votants (3 juges et 9 jurés), et en appel 10 réponses "oui" sur les 15 votants (3 juges et 12 jurés) (art. 359 du cpp).

  Quelles sont les conséquences de tout ceci ?

  D'abord qu'un juré peut refuser de donner la moindre indication sur ce qui le conduit à voter oui ou non. Tout juré qui le souhaite peut rester totalement muet pendant toute la durée du délibéré. Il peut également émettre oralement un avis qui ne correspond pas à ce qu'il pense réellement. Il peut tout aussi, même s'il a exprimé un avis, en changer au moment de remplir son bulletin de vote. Enfin, un juré peut voter dans un sens sans être très au clair sur les raisons de ce vote.

  Cette absence d'obligation d'expliquer et de justifier son point de vue aboutit parfois a des aberrations. En voici un exemple.

  Dans une affaire de meurtre, après que l'accusé nous ait expliqué pendant plusieurs jours pourquoi il avait tué, de quelle façon il s'était organisé, comment il avait tiré sur la victime, pourquoi il lui en voulait autant, pendant le délibéré et au moment de répondre à la question "X... a-t-il tué Y...", un juré a répondu.... non ! Je n'ai jamais su de quel juré il s'agissait ni pourquoi il avait voté ainsi. Il s'agissait probablement de l'un de ceux qui ne s'étaient pas exprimés pendant le tour de table.

  La difficulté se retrouve parfois au moment de choisir la peine. Certains jurés expriment leur désarroi en l'absence de référence aux peines habituellement prononcées dans des dossiers semblables. Et quand la peine qui peut être mentionnée sur le bulletin de vote va de quasiment rien à 30 ans de prison, le choix est pour certains particulièrement angoissant.

  Là encore, dans cette seconde étape du délibéré, certains jurés s'expriment sur leur appréciation de la gravité du crime poursuivi pour aller vers la peine qu'ils estiment appropriée, quand d'autres ne disent rien et inscrivent pourtant un nombre d'années de prison sur le bulletin de vote. Et il y a parfois des peines choisies qui sont manifestement excessivement lourdes ou faibles.

  Mais heureusement, étant donné le nombre de personnes composant la cour d'assises, les excès, toujours minoritaires, sont contrebalancés par l'approche et les décisions raisonnables des autres. Cela fait que les positions aberrantes n'ont la plupart du temps pas de réelle influence sur la décision finale.

  Mais revenons à l'intime conviction.

  Le second des deux mots, "conviction", n'est pas le plus gênant des deux. D'un point de vue théorique, la conviction c'est la certitude que l'on a de la vérité d'un fait. Le dictionnaire Litré en donne la définition suivante : "Nécessité où l'on met quelqu'un, par des preuves, de reconnaître la vérité qu'on lui présente". Il est dès lors certain que quand celui qui juge dit : "je suis convaincu que l'accusé est coupable", cela signifie : "à l'issue des débats j'ai retenu un ensemble d'éléments concrets qui m'ont démontré sans doute possible que l'accusé est coupable". Le mot "conviction", sauf à en détourner le sens, ne signifie donc pas que la décision puisse reposer sur une simple impression ou un vague sentiment.

  Le mot "intime" est plus troublant, car la "conviction" dans un procès c'est le résultat d'une démarche exigeante de l'esprit. La définition du même dictionnaire du mot intime c'est : "Qui est le plus au dedans et le plus essentiel", mais aussi : "Qui existe au fond de l'âme". D'où un glissement possible d'un raisonnement intellectuel rigoureux vers quelques chose de plus indéfinissable qui suit d'autres voies.

  C'est bien pourquoi le seul véritable obstacle du passage de l'un (la rigueur du raisonnement) à l'autre (le sentiment confus), c'est la motivation de la décision. La motivation, c'est la démonstration que la conviction du juge est le résultat d'une analyse des points essentiels du dossier et qu'elle est sérieusement étayée.


  En 2004, des parlementaires (Sénat, séance du 13 octobre 2004) ont proposé de modifier l'article 304 du cpp.

   Ils ont affirmé que  "De lourdes condamnations ont été prononcées par des cours d'assises alors qu'apparemment la preuve absolue de la culpabilité n'avait pas été rapportée", que "La référence de l'article 304 du code de procédure pénale à l'« intime conviction » donne, en effet, souvent lieu à contresens, et que "pour beaucoup, « intime conviction » signifie que l'on peut être persuadé de la culpabilité alors même que la preuve n'en est pas rapportée". Ajoutant que "l'intime conviction ne peut se forger que par les preuves qui sont administrées", ils ont proposé de le réécrire de la façon suivante (la partie modifiée est barrée) :

  ""Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection ; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions    que vous ne pouvez en conscience, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à une femme ou à un homme probe et libre retenir sa culpabilité que si la preuve en est rapportée par l'accusation et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions ".

  Le parlement n'a pas donné suite à cette proposition.

  Pourtant, même s'il avait été inscrit dans la loi, ce changement de vocabulaire n'aurait probablement pas changé grand chose. Car il ne s'agit que de mots, dont les effets sont incertains au moment où chaque membre de la cour d'assises saisit son bulletin de vote et y inscrit oui ou non. Cela pour les raisons précitées, à savoir l'absence d'obligation faite aux jurés d'argumenter leur point de vue avant de voter pour ou contre la culpabilité de l'accusé puis de choisir la peine.

  C'est bien pour cela que la question de l'intime conviction n'est que secondaire par rapport à celle de la motivation écrite des décisions. Car c'est au moment  d'expliciter  un vote, ce qui suppose d'indiquer au moins en résumé quel est le raisonnement qui y mène, que celui qui doit décider se rend véritablement compte de la solidité de son raisonnement et de sa conclusion.

  Quand je délibère avec des collègues dans des affaires pénales, et que je ressens un doute quant à la solution qu'ils proposent, je leur demande systématiquement : "que comptez vous écrire dans le jugement ?". Et quand la réponse est hésitante, quand les mots sortent difficilement, c'est de toute évidence que ce qui est proposé n'est pas fiable. A l'inverse, le raisonnement est sûr quand la motivation se rédige aisément et de façon fluide. Le test de l'écrit est imparable pour vérifier si la solution envisagée est véritablement plausible et le raisonnement qui y mène réellement convaincant. Et je fais de même quand je motive moi même une décision. Si la difficulté de rédaction est trop importante, alors il faut débattre à nouveau sur le bien fondé de la décision retenue dans un premier temps.


  Pour mettre fin au soupçon qui pèse sur certaines décisions de la cour d'assises, il faut donc envisager d'une façon ou d'une autre la motivation des décisions, même s'il reste à réfléchir sur les moyens d'y parvenir concrètement tant les obstacles pratiques sont importants comme je l'ai déjà souligné.

  Mais il n'empêche qu'il ne s'agit que de la motivation d'une décision prise. Prévoir la motivation de toutes les décisions criminelles n'empêchera jamais un membre de la cour d'assises de porter sur son bulletin de vote un "oui" ou un "non" qui ne repose sur aucun argumentaire sérieux.

  Le seul moyen de réduire les risques en cours de délibéré c'est alors, de la part du président, de susciter un débat aussi vaste, aussi ouvert, et aussi loyal que possible.

  Mais il s'agit d'un autre aspect de la problématique, sur lequel je reviendrai ultérieurement.


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A
Les conséquences d'une motivation obligatoire des décisions de CA rejailliraient également et, il me semble , dans un sens positif pour l'application du droit, sur la façon dont seront traitées les voies de recours; ainsi le pourvoi en cassation pourrait donner lieu à une appréciation du fond - éléments constitutifs de l'infraction et motifs retenus qui devront être suffisants et non contradictoires - qui ne sont pas contrôlés à ce jour , alors qu'il s'agit des infractions les plus graves et les lourdement sanctionnées ; elle pourrait permettre également à la cour d'assisses d'appel de - et surtout aux parties , parquet , défense, partie civile - d'orienter les débats , compléter etc...  
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P
<br /> Oui, c'est un réel aspect de la problématique complexe de la motivation des décisions de la cour d'assises. Attendons le rapport de la commission Léger et ce qu'elle proposera sur ce sujet.<br /> MH<br /> <br /> <br />